« ô temps suspend ton vol ». Il s’en va à tire-d’aile, faisant disparaître si l’on n’y prend garde, tout ce pourquoi on aura lutté toute sa vie. Après les batailles de tous ordres, économique, politique scientifique, militaire etc, l’homme doit conserver visibles les traces de son activité. Nos armées, notre défense nationale ne sont pas exemptées de cette fatalité. Les victoires remportées sur les différents théâtres d’opération, les exploits des héros parfois anonymes sous le drapeau national, doivent être contés au public. Nous avons en effet un devoir de mémoire envers ceux qui ont au péril de leur vie, veillé à défendre l’intégrité du territoire national.
Mémoire de papier
Longtemps écrite par l’étranger, l’histoire de notre peuple, de notre nation, de notre défense risquerait de demeurer celle des vainqueurs d’hier. Aujourd’hui est tout autre et nous pouvons mieux que les autres raconter notre passé. Les plumes agiles de notre terroir doivent résolument être mises au service de la mémoire collective. Des livres comme s’il en pleuvait, notre histoire est assez riche pour en produire. Qui racontera les batailles d’Amchidé, de Kolofata ou de Kerawa ? Et si l’on oubliait les face à face et les mêlées tragiques pour le contrôle d’Isanguele, Jabane ou Idabato, à quoi renverraient les accords de Green Tree ? Et si un jour les frontières reprécisées dans un processus de paix étaient remises en question, comment se souviendra-t-on que c’est au prix de la vie de certains héros qu’elles ont été acquises ?
Ecrivons et facilitons l’écriture de notre histoire militaire. Et si l’encre sur le papier devenait illisible, s’estompait, s’effaçait, écrivons-la sur le fer et sur la pierre.
Mémoire de fer
Lorsque sont passés le tonnerre des coups de canon, les rafales de mitrailleuses et le cliquetis des chenilles, des fleurs ont germé sur les tombes des combattants tombés sur les fronts puis progressivement, des mauvaises herbes ont envahi le petit coin de terre réservé à ces serviteurs de la Nation. Que deviendra celle-ci, lorsque de nouveau elle aura besoin de bras pour la défendre, si d’autres jeunes gens n’ont pas pris la place dans les rangs? Le Pays aura toujours besoin de ces défenseurs. Le métal des armes devenues muettes, des épaves de blindés et autres systèmes d’armement ennemis, pourrait être fondu pour en faire des statues et effigies en souvenir de nos héros, afin que jamais ne disparaissent ces hommes de valeur. On parlera du Général Kodji Jacob comme les américains parlent de Paton, du Général Kameni comme les grecs parlent d’Hector, du Lieutenant-Colonel Beltus Nkwene Ekwele comme d’Achile, du Lieutenant Youssouf Mahamat comme d’Ajax, du LV Ngnassiri, du Soldat de 1ère Classe Aboulouguié Jean-Marie et tant d’autres, comme de héros à jamais silencieux! Oui ! Mais Que depuis le silence du repos éternel, ils sourient en voyant leur reflet sur les vaillants cadets qu’ils auront suscités. Leurs figures seront en effet, un puissant moyen d’émulation pour les jeunes générations à la recherche de repères fiables.
Et si le métal devait s’éroder, rouiller, fondre, gravons notre mémoire dans la pierre.
Mémoire de pierre
La pierre, si proche de la terre qui engloutit tout, reste le plus grand porteur de traces de civilisations anciennes. Des peintures rupestres aux squelettes fossilisés, les plus vieilles preuves sur l’existence humaine résident dans la pierre. Le premier citoyen, le Chef des Forces Armées de notre pays, à la suite de la rétrocession de la péninsule de Bakassi au Cameroun, recommandait d’« ériger des stèles à la mémoire de ceux de nos soldats tombés sur le champ d’honneur … ». Cette directive ne manquera certainement pas de trouver bientôt une application pratique plus marquée, dans les activités de Mémoire et Souvenir au sein du Ministère de la Défense.
Du granit donc ! Que dis-je ? Du marbre pour célébrer nos héros ! Un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir, fait-on dire à Aimé Césaire.
Il s’agit de se souvenir pour continuer d’exister en tant qu’armée, en tant que société, en tant que nation.
Par Honoré Jean MPEGNA, Chef Division Mémoire et Souvenir/MINDEF/SED/CACVG